Une douce folie devenue institution vénérable
Francine Girard
On me demande un article sur EXPRESSION. Qu’écrire ? Pour moi, parler d’EXPRESSION c’est comme parler de son bébé. Ou, « encore plus pire », je me sens comme une grand-mère à qui l’on demande son opinion sur son petit-enfant. J’ai juste envie de dire qu’il est le plus beau, le plus fin, le plus intelligent… Tout en sachant bien dans mon for intérieur que ce n’est pas vrai et, en même temps, en y croyant très sincèrement.
Il y a toutefois une différence. Un enfant, on sait qu’il vieillira et aura un jour 20 ans. Alors qu’en ce qui concerne EXPRESSION, quand Pierre Rodrigue et moi divaguions en toute liberté, joyeusement et allègrement, sur les expositions et les artistes que nous envisagions pour les modestes murs de la bibliothèque du cégep, nous n’avons jamais pensé un seul moment que notre douce et heureuse folie deviendrait un jour une vraie institution et atteindrait un âge vénérable.
Cela dit, si je remets mon sérieux chapeau critique d’historienne de l’art et de présidente du Conseil de la culture de Saint-Hyacinthe, et que je considère d’un œil le plus neutre possible le centre EXPRESSION, je ne puis qu’affirmer, en toute objectivité, qu’il s’agit d’un des plus beaux lieux d’exposition du Québec. Je ne les ai pas tous vus, mais, au fil des 20 dernières années, j’en ai tout de même visité un grand nombre, ici et là, de Montréal à Gaspé. Et, sauf de rares exceptions (je pense à la vieille église de Rimouski transformée en musée régional), je mets quiconque au défi de retrouver ailleurs un espace se présentant avec autant de magnificence. L’ampleur du volume intérieur d’EXPRESSION, la qualité de sa lumière, son silence, ses proportions, ses accessoires architectoniques (l’escalier, le lanternon) sont uniques. On y respire autrement et mieux qu’ailleurs. Certains artistes rêvent d’y exposer alors que d’autres sont intimidés par sa prestance, mais tous reconnaissent l’impressionnante présence et l’indiscutable beauté du lieu.
Saint-Hyacinthe est chanceuse d’avoir un tel équipement culturel.
Je n’ai pas vu toutes les expositions présentées à EXPRESSION depuis 20 ans, mais je n’en ai sûrement pas manqué beaucoup. Seule, avec des amis, avec mes étudiants, je suis restée curieuse de voir ce qui y est installé. Je n’ai pas tout aimé, bien sûr. De par sa nature, l’art contemporain est neuf, expérimental, parfois inquiétant, souvent déroutant. Au fil des expositions j’ai été surprise, déçue, émerveillée et suis passée par toute la gamme des émotions sur lesquelles jouent les artistes. Il y a eu à EXPRESSION des expositions fortes et marquantes, et d’autres qui le furent moins, mais il y avait toujours à apprendre. Les artistes en art actuel nous parlent de nous, de notre monde, de la réalité qui nous entoure. Parfois nous sommes profondément touchés par la qualité esthétique de l’œuvre, parfois elle nous rejoint autrement, mais, du regard original d’un artiste, il y a toujours une réflexion à tirer, un apprentissage à faire.
Saint-Hyacinthe est choyée d’avoir un accès aussi direct à la création contemporaine.
Un centre d’exposition n’est pas qu’un lieu et des œuvres. Il est, et avant tout même, le résultat du labeur d’êtres sensibles, créatifs et dévoués. C’est ainsi que je vois le personnel d’EXPRESSION. Il est vrai que j’aurais parfois souhaité que le centre cible d’autres publics ou tente d’améliorer son image locale. Mais en même temps, j’ai toujours reconnu l’excellence du travail fait par ceux qui en ont assumé la direction. EXPRESSION est connu et reconnu par nos deux niveaux de gouvernement ainsi qu’à l’étranger. Son image de marque sert d’exemple. Et surtout, il est une incroyable entreprise de diffusion artistique auprès du public, jeune et adulte. Depuis 20 ans, un nombre incalculable d’élèves d’âge scolaire, du primaire au cégep, sont passés à EXPRESSION et ont été mis en contact avec l’art d’aujourd’hui. Cette initiation fait partie de leur cheminement personnel et il est certain que plusieurs en ont été favorablement marqués.
Saint-Hyacinthe est privilégiée d’avoir un personnel compétent qui offre à sa population une animation d’aussi grande qualité.
On m’a demandé de parler d’EXPRESSION. Que pourrais-je ajouter ? L’importance d’un tel centre m’apparaît tellement évidente pour les artistes en arts visuels, pour la population, pour le développement culturel de notre petit milieu... Au Québec, il y a beaucoup moins de galeries d’art et de musées que d’arénas et de terrains de balle. Les premiers devraient nous être encore plus précieux que les autres.
Saint-Hyacinthe doit être fière d’avoir su conserver EXPRESSION, le soutenir et reconnaître son importance.
Francine Girard,
Historienne d’art, professeure au Cégep de Saint-Hyacinthe, présidente du Conseil de la culture de Saint-Hyacinthe et l’une des fondatrices d’EXPRESSION